Archives pour la catégorie Critiques

Tous en scène pour Angélique, roman brésilien de Lygia Bojunga

Une nouvelle fois, les éditions Kanjil s’éloignent des sentiers battus et rebattus et jouent le jeu de l’exigence. Grâce à la traduction limpide de Noemi Kopp-Tanaka, le lecteur français a la possibilité de rencontrer l’écriture de l’auteure brésilienne Lygia Bojunga, lauréate des prestigieux Prix Hans Christian Andersen et ALMA (Astrid Lindgren Memorial Award).

Dans Tous en scène pour Angélique, une pièce de théâtre constitue le cœur du roman. Formellement, la pièce occupe les deux chapitres centraux. Les chapitres précédents livrent la genèse de l’écriture de cette pièce, les chapitres suivants racontent la mise en scène et l’aboutissement, le spectacle. Au début du livre, le héros Porc décide, pour être plus heureux, de se déguiser et de s’appeler Port avec un « t ». Sa rencontre avec la cigogne Angélique fait germer en lui l’idée d’une pièce. La vie d’Angélique, partie d’Europe pour fuir le mensonge, mérite selon lui d’être racontée. Les acteurs que Port et Angélique rassemblent pour la pièce sont comme eux des marginaux, toujours en manque de travail et d’argent. Cette bande improbable va réussir à monter un spectacle incroyable qui les fera, chacun, grandir un peu. C’est en tout cas par le théâtre et dans l’échange avec les autres que Port se réconcilie avec lui-même et trouve la vie plus belle.

Le roman regorge de trouvailles dans l’écriture et les situations qui prêtent à rire autant qu’à réfléchir. Quelle idée, par exemple, que celle de dénaître, quand on n’a pas envie de vivre la vie qu’on nous impose ! Il semble que Lygia Bojunga ne s’impose aucune limite, pour notre plus grand bonheur, passant sans complexe de la réalité à l’impossible, du jeu à la vie.

Ce texte écrit dans les années 70 est épatant de lucidité. La critique de la société de consommation, des effets de mode, et l’appel à la fraternité se font avec une extrême intelligence, sans les gros sabots et le politiquement correct de bons nombres de livres grand public.

Tous en scène pour Angélique - Lygia Bojunga Nunes

Lygia Bojunga, Tous en scène pour Angélique, roman traduit du portugais par Noémi Kopp-Tanaka, Kanjil, 16€.

ClaireD

Debout sur un pied, Nina Jaffe, Steve Zeitlin

Voilà un livre qui se prête merveilleusement à la lecture à voix haute. Pour la lecture de l’adulte à l’enfant en famille – n’oublions pas que même les grands en raffolent – ou pour la lecture offerte à l’école, on peut se lancer sans hésiter dans Debout sur un pied. Ces 14 contes de sagesse de culture juive fonctionnent sur une même trame. À chaque fois, le héros est mis face un problème, qu’il va devoir résoudre, et l’on propose au lecteur, avant de donner la solution, d’imaginer une issue. Le lecteur doit ainsi aller trifouiller dans son intelligence pour tenter de trouver la réponse la plus sage. Cette incitation à la participation du lecteur, associée à la brièveté de chaque conte rendent l’ouvrage précieux. Il est en effet de ceux qu’on peut garder toujours dans un coin pour cinq minutes de lecture volées par ci par là. À ce genre de bouquins, on pourrait accoler l’étiquette « satisfait ou remboursé » !

Debout sur un pied

Nina Jaffe, Steve Zeitlin, Debout sur un pied, adapté de l’américain par Raphaël Fejtö, École des loisirs, collection Neuf, 1994, contes à partir de 9 ans, 7€10.

ClaireD

LA FAMILLE GRIBOUILLIS

LA FAMILLE GRIBOUILLIS
Edouard Manceau

Voici un petit livre … déjà grand… puisqu’il a été édité en 2009 aux Editions Milan. Vous ne résistez pas à le redescendre du présentoir de la librairie pour vous asseoir en bonne compagnie.. grand et petit réunis.. Et là… vous souriez, vous êtes comblés !
Comment peut-on être comblé par ce tout- petit cartonné, au dessin plus que minimaliste animé par un simple… gribouillis !! Une bonne raison : jubilation !! Que l‘on ait deux ans ou bien plus encore, on entre de plain-pied dans la problématique, plus complexe qu’elle n’y paraît … Comment faire un joli petit gribouillis ?.. Et voilà, tout le déroulé de la « création » sous forme de caché-trouvé… ou comment le roi des gribouillis, pour le moins grand coquin avec son amie la reine du gribouillage, vont de câlins en gribouillis, donner naissance à un joli petit gribouillis qui lui-même se posera un jour la question… mais comment faire un joli petit gribouillis ? On croit le livre fini… et puis c’est reparti… enfin presque !
Pari réussi d’un gribouillis dans le rôle principal ! Les petits seront ravis et décomplexés par ce registre si familier, si proche de leurs propres « petites » productions habitués qu’ils sont à les sous-titrer, également, par des « grandes » questions… sur la vie. Ceux qui ont dépassé ce stade depuis longtemps ou pas, en souriront, complices, séduits par l’humour de ce trait qui ne se prend pas au sérieux… et pourtant..
Sylvie Heyraud.

LA FAMILLE GRIBOUILLIS / Edouard Manceau
Editions Milan/ 2009 / 6,90 euros

Trois sœurs, Jo Hoestlandt, Nathalie Novi

Une douce nostalgie parfume les romans de Jane Austen, à laquelle ce bel album se réfère. Certains sont familiers de cette sorte de nostalgie, nostalgie d’une époque, d’un jeune temps peut-être bien un peu idéalisé, mais que la mémoire conserve chaud et merveilleux. Jo Hoestlandt et Nathalie Novi – grande amoureuse des livres de Jane Austen (comme je la comprends), rendent dans cet album la délicieuse atmosphère propre à la romancière anglaise. Elles racontent, du point de vue de la plus jeune, prénommée Jane, les relations de trois sœurs. S’aimer, partager, envier, s’observer, s’émanciper, la palette chaude de Nathalie Novi donne à sentir toutes ces façons d’être sœurs. Lorsqu’Éléonore quitte le cocon familial pour aller vivre sa vie, Martha s’installe dans la chambre de sa grande sœur, et Jane hérite de celle de Martha. Puis c’est au tour de Martha de s’en aller, laissant Jane, désormais dans la grande chambre – celle d’Éléonore – à ses souvenirs. Jane met plus de temps que ses sœurs à partir, mais elle va plus loin. En quittant la maison de ses parents, elle laisse bel et bien derrière elle l’enfance marquée de la présence de ses sœurs. Comme chez Jane Austen, la nostalgie ici n’implique pas le regret. La certitude du bonheur vécu cimente au contraire la confiance de l’adulte. Trois sœurs, de Jo Hoestlandt et Nathalie Novi, redit qu’on peut trouver, à l’âge adulte, encore bien d’autres façons d’être sœurs.

Trois sœurs, de Jo Hoestlandt et Nathalie Novi, Gallimard jeunesse, 14,90€.

UN JOUR MOINEAU

UN JOUR MOINEAU
Anne Herbauts

On ouvre le livre délicatement pour ne pas réveiller le moineau au cas où..
Matin !
Nous voilà saisis, au saut du lit de… Matin, emportés par une poésie toute douce en une succession de mots intrigants qui posent le décor à la façon de petits haïkus.. pour prendre plus d’ampleur à l’entrée en scène d’une Géante effondrée devant la porte de Matin .. « Vert chou ventru en papillotes ! Voilà que ma porte bloque ! »
C’est alors qu’un plan de bataille non-violente s’élabore petit à petit, pour réveiller la Géante au rythme des suggestions- refrains « pour la réveiller, tu dois.. » des différents figurants… Moineau, escalier, pendule, plancher, grenier, édredon, ampoule, poêle à bois, chaise, fenêtre…. Comme une partition à 2 voix où Matin, en léger décalage ou sur sa propre mélodie, confectionne un gâteau… à faire fondre la Géante.
Vous l’aurez compris, c’est tout en légèreté et musicalité que nous frémissons , à l’odeur délicieuse de cette histoire, à la manière de la Géante toute entière frémissant au fumet du gâteau. Les illustrations hautement picturales ajoutent, en belle harmonie, une pincée de magie, de poésie et nous entraînent dans une farandole un peu folle, décalée qui, le livre refermé nous rattrape pour une nouvelle lecture afin de savourer avec grand plaisir les mots et plonger un peu plus profond dans le sens des choses…
Beau et résistant à la fois !

Sylvie Heyraud

Anne Herbauts/ Les Albums Casterman/ 14,50 euros

Ma vie en pyjama

MA VIE EN PYJAMA
Pauline Martin- Eric Veillé
Ecole des loisirs 08-2014

Un album autour de la place que peut prendre l’enfant. Une histoire toute simple et pourtant de taille à en juger par le gigantisme sans fin du « Boubou à son papa et sa maman » !! Ma vie en pyjama n’est pas aussi tranquille que le titre peut le suggérer, la vie rêvée pouvant vite tourner au cauchemar… Il suffit parfois d’un non et d’un torrent de larmes pour que les choses reprennent un cours normal sur lequel, les parents, plutôt défaillants jusque là, ramant dans leur rôle, reviennent en pagayant… et que l’enfant puisse se glisser dans un pyjama… mais seulement, la nuit !
Une lecture à partager en pyjama ou pas… pour détendre le quotidien et en sourire en toute complicité.
Sylvie Heyraud

Range ta chambre!, Xavier Salomo

J’ai adoré l’album de Xavier Salomo Range ta chambre ! Il brille par sa construction, parfaitement efficace et inédite.

C’est d’abord un très beau livre, au papier très épais (je ne me souviens pas avoir tourné des pages aussi épaisses). Sur la surprise finale, le livre se déplie encore davantage : ce que le samedi nous réserve (un total pétage de plomb de weekend !) est ainsi rendu par l’extension matérielle de l’objet livre.

C’est aussi un exemple admirable de dialogue entre le texte et l’image. Sur la page de gauche, les paroles d’un adulte s’adressant à l’enfant et lui donnant des ordres. Sur la page de droite, une image foisonnante,  au fil des jours de la semaine, de la chambre de François, dont l’exponentiel bazar fait écarquiller les yeux.

Range ta chambre ! appelle enfin le jeu : on s’amusera, au fil de la lecture, ou bien à son issue, à retrouver parmi les objets éparpillés ceux qui sont évoqués dans le texte.

Qui parle et comment cela va-t-il se terminer ? Suspens.

Range ta chambre !, Xavier Salomo, Seuil jeunesse, 15€

ClaireD

 

Rien n’arrête Bidule Chouette

Rien n’arrête Bidule Chouette… et on ne l’attend pas au tournant ! La couverture invite à suivre Bidule Chouette, à entrer dans sa course et dans le fol imaginaire des trois histoires en bandes dessinées qui constituent cet album. On ne peut pas soupçonner où chacune d’elle va nous mener.  Elles ont en commun l’intrusion subite d’un horrible monstre baveux qui veut dévorer l’appétissant Ramone, ami de Bidule Chouette. riennarreteElles ont également en commun une issue très originale : Bidule chouette a toujours un moyen étonnant de sortir son ami du ventre du monstre.

Cati Baur, Gwendoline Raisson, Rien n’arrête Bidule Chouette !, L’école des loisirs, 12,70€

Le premier camping de Nao, Akiko Hayashi

Dormir sous la tente, c’est se rapprocher de la terre, sentir vraiment la nuit et le jour qui se lève. On quitte, avec plaisir parce que momentanément, son confort pour se retrouver homme de la nature. Nao, que les grands du village trouvent trop petite pour l’emmener, sent bien qu’il y a une aventure à vivre au camping. Elle fait des pieds et des mains pour suivre les plus grands, prend sur elle pour ne pas pleurer à la moindre occasion, participe du mieux qu’elle peut à la préparation du repas. En réussissant à aller faire pipi toute seule dans la nuit, elle franchit un cap, elle prouve et se prouve qu’elle a grandi.

Le premier camping de Nao raconte un moment, une aventure belle parce que simple, de celles qui restent gravées dans la mémoire. La simplicité du récit, relayée par celle des traits et des couleurs, sied à ce genre de moments dans l’enfance qui prennent de l’importance dans la perception, donnent de la matière au souvenir de l’adulte.

Akiko Hayashi, Le premier camping de Nao, L’école des loisirs, 1986, réédition 2014, 12,50€

Lire en VO

Quand on n’est pas parfaitement à l’aise dans une langue étrangère, l’effort que demande la lecture en VO rebute et fait souvent procrastiner… J’ai donc beaucoup apprécié le principe de la collection Dual Book chez Talents hauts : un chapitre sur deux en anglais/allemand/espagnol, every other chapter in French. Pour connaître la suite de l’histoire, il est nécessaire de passer De l’Une à l’Autre Langue (DUAL). Des “Mini Dual Books” accessibles à partir du collège jusqu’aux “Dual Books +” destinés aux lycéens et adultes, la collection propose des histoires inédites écrites dans une langue simple par des auteurs bilingues.

C’est simple mais efficace, bien plus à mon avis que la lecture bilingue qui fait se confronter le texte original et sa traduction sur la même double-page. La lecture en français, un chapitre sur deux, permet d’entrer dans le récit, de savoir de quoi on parle, de remettre les pendules à l’heure, la lecture en langue étrangère s’en trouve alors grandement facilitée. Au final, on a de quoi être content de soi : on a (presque) lu un livre en langue étrangère!