Archives pour la catégorie Critiques

Le Club de la Pluie, Malika Ferdjoukh

« On était le matin de la rentrée de Toussaint, il pleuvait, 9 heures avaient sonné, et on ne voyait pas Saint-Malo.

–          On arrive quand ? ai-je demandé à papa.

–          Quand la petite aiguille sera sur bien et la grande sur tôt.

[…]

–          Tu sais ce qui se passe quand on est en retard ?

–          Euh… La journée paraît moins longue ? a suggéré papa. »

 

Du tac au tac. Voilà l’incipit. Dès la première page, l’esprit Ferdjoukh est là, les dialogues piquent, les plaisanteries fusent, les personnages sont plein de répartie. (De la répartie, moi j’en aurais, mais le lendemain, comme dirait François Morel.)

Composé de 3 collégiens à l’internat des Pierres-Noires, Rose, Ambroise et Nadget, personnages que Malika Ferdjoukh sait rendre fort sympathiques, le Club de la Pluie voit le jour dans la première histoire, après avoir brillamment résolu l’intrigue de la directrice absente. L’énigme ne tarde pas à se présenter dans la deuxième histoire, pour le plus grand bonheur des membres du Club qui se dote, à cette occasion, de deux héros supplémentaires. L’écriture est parfaite, sans tics, et les aventures sont d’autant plus plaisantes qu’elles ne sont pas abracadabrantes.

Le Club de la Pluie au pensionnat des mystèresMalika Ferdjoukh, École des loisirs, Collection Neuf (9 à 12 ans), 8,50 €.

“L’énigme de la tour”, suivi de “Le voleur de Saint-Malo”

À paraître Le Club de la Pluie brave les tempêtes.

Chouette.

ClaireD

L’ami paresseux, Ronan Badel

Paradoxalement, les albums sans texte sont peut-être ceux qui se laissent le moins facilement feuilleter. Ils nécessitent une lecture attentive, une observation rigoureuse, qui commence par la première page. L’absence de narration verbale peut dérouter les lecteurs adultes, qui ne savent pas bien quoi faire de tels objets. Le texte, sur lequel on s’appuie lorsqu’on lit un album à voix haute, a quelque chose de rassurant. En présence d’un album sans texte, faut-il raconter l’histoire à l’enfant ? parler sur les images ? faire parler ? simplement tourner les pages et observer ?

Vous trouverez sur les étals de votre librairie un livre dans sa pochette cartonnée. Votre chance, c’est que chez vos libraires préférés, vous êtes à l’abri des regards inquisiteurs, ils regarderont toujours avec bienveillance vos furetages et vos tripotages de livres. Sortez donc L’ami paresseux de sa pochette et commencez-en la lecture. Cette histoire sans paroles raconte le périple d’un paresseux endormi et qui va le rester durant toute l’aventure, même lorsque sa branche sera tronçonnée, même lorsqu’elle traversera le courant… Lire, raconter, parler, ou se taire, rire dans tous les cas : tout cela viendra bien naturellement. C’est tellement épatant de voir comme l’image peut être raconteuse…

Une autre belle occasion de faire l’expérience d’un texte quand il n’y a pas de texte.

L’ami paresseux, Ronan Badel, Éditions Autrement, 12 euros, à partir de 3 ans.

ClaireD

 

Les trois sœurs et le dictateur, Elise Fontenaille

En République Dominicaine, dans les années 1950, trois sœurs, devenues depuis des icônes de la résistance, ont pris une part active au mouvement qui a fait flancher le pouvoir dictatorial en place. Le 25 novembre 1960, elles furent assassinées. C’est d’ailleurs en hommage à Minerva, Patria et Maria Teresa Mirabal que la journée du 25 novembre a été déclarée «journée mondiale de lutte contre la violence faite aux femmes».

Notre méconnaissance de cette passionnante histoire, Élise Fontenaille nous fait le cadeau de la combler avec son roman au titre et à la couverture prometteurs. L’auteure nous offre l’opportunité de tourner notre regard vers ce coin du globe et vers ce moment d’histoire.

Nous suivons la jeune Mina, à la recherche de ses racines, en voyage dans le pays de son père. Par la bouche de sa grand-tante, Adela, la quatrième sœur, seule survivante et gardienne de la mémoire familiale, elle apprend ce qui fut le destin de sa grand-mère Minerva Mirabal. D’une beauté légendaire, elle fut repérée par le dictateur Trujillo, qui dirigea la République dominicaine de 1930 à 1961, et osa résister à ses avances. Bien plus, Minerva fut l’une des premières femmes de son pays à oser faire des études le droit ; elle s’engagea dans la résistance et le paya de sa vie, comme nombre de  ses proches.

Les trois soeurs et le dictateur, Élise FONTENAILLE, Éditions du Rouergue, 80 pages, 8.70€, à partir de 13 ans

ClaireD

Emile et les autres, Emile fait un cauchemar, Vincent Cuvellier, Ronan Badel

Deux nouveaux Émile paraissent…

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Sautons sur l’occasion pour parler de la désopilante série de Vincent Cuvellier et Ronan Badel.

On ne peut dire le plaisir qu’on a de retrouver Émile. Émile pas tout à fait sage, Émile qui négocie comme personne, Émile qui ne fait rien comme les autres, Émile à l’imagination débordante qui ne voit pas les limites lorsqu’il a décidé quelque chose.

Nous voyons dans l’alchimie de ton entre le texte et l’illustration la principale raison de la réussite de la série.

La manière qu’a Vincent Cuvellier d’utiliser le discours indirect libre pour exprimer les lubies d’Émile est tordante. Et l’auteur parvient à nous faire éclater de rire avec les chutes systématiquement improbables des albums de la série.

Ronan Badel donne corps avec génie au personnage. L’air nonchalant parfois désabusé d’Émile, ses attitudes, ses expressions, les postures qu’il prend sont tellement bien vues qu’on en sourit.

À la récurrence du personnage s’ajoute celle de certaines expressions qui resteront dans les annales : « C’est comme ça et pas autrement ! »

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Emile est invisible, Emile se déguise, Emile veut une chauve-souris, Emile a froid, Emile fait la fête, Emile veut un plâtre, Emile fait un cauchemar, Emile et les autres, Vincent Cuvellier, Ronan Badel, Gallimard jeunesse, Giboulées, dès 4 ans, chaque titre : 6€.

ClaireD

Mado m’a dit, Christophe Léon

Boby, né sous X, en famille d’accueil, n’aime personne. Il est exaspéré par les tentatives d’approche des filles qui décèlent en lui le cœur tendre que sa hargne tente de cacher. Sans trop savoir pourquoi, il prend un jour la défense de Mado que trois voyous du collège ont lâchement agressée. Handicapée par son poids, fatiguée de vivre, seule au monde, Mado se prend d’amitié pour le jeune garçon. Pour elle, Boby tombe littéralement du ciel. Il s’est inventé une mère Mercurienne et un père Jupiterien et Mado croit justement aux extraterrestres. Méfiant, Boby est tout de même attiré par cette femme un peu folle qui collectionne les plantes carnivores.

Léger par sa taille, dense par son contenu, Mado m’a dit emmène le lecteur là où il ne peut pas s’y attendre. Référence explicite à la chanson de Boby Lapointe – par le titre et le surnom du héros, le roman de Christophe Léon n’est pourtant pas frivole et badin. La minceur du roman (84 pages) n’empêche pas en effet l’épaisseur des personnages, deux marginaux qu’un épisode de la vie va réunir d’une courte mais néanmoins intense façon.

La fin du roman, totalement inattendue, oblige à revenir en arrière pour vérifier que, oui, on a bien compris. Dense, épais, intense, ce roman est une expérience.

Mado m’a dit, Christophe Léon, La Joie de Lire, coll. Hibouk, dès 9 ans, février 2014, 6.90 Euros

ClaireD

Comment tomber amoureux… sans tomber

Là, les filles, c’est à vous que je m’adresse (y compris celles qui sommeillent en chaque garçon). Pour vous décrire ce bouquin, je vous le comparerais à un bon téléfilm de la BBC, à une soirée pyjama réussie, à un épisode d’une série américaine addictive… Tentant, n’est-ce pas ?

Ils sont jeunes, ils sont beaux, ils ont de la répartie. Le jour de sa rentrée en terminale, Annabelle fait la connaissance de Samuel, fils de l’ambassadeur des Etats-Unis. Ambitieuse, mordue de travail comme les autres femmes de la famille, Annabelle va tout de même accepter la mission rémunérée de consacrer du temps à Samuel pour lui apprendre le français. Le roman de Susie Morgenstern raconte comment les deux familles vont se rapprocher, se rapprocher… Et tout se terminera bien.

Livre de bain, livre de plage, livre de vacances, je crois qu’on est nombreux/ses à rechercher de temps de temps ce type de petit plaisir.

Comment tomber amoureux… sans tomber, Susie Morgenstern, Ecole des loisirs, collection medium, 2014, 16€

ClaireD

La pluie est amoureuse du ruisseau, David Dumortier, Rue du Monde

 « Tiens
La pluie
Va tomber cette nuit.
Bien fait pour elle ! »

Quelques mots suffisent au poète pour faire surgir l’image. Le recueil de poèmes très courts qui se succèdent et racontent une histoire est décidément une forme dans laquelle David Dumortier excelle. Comme le joli nom du recueil l’indique, il est ici question d’amour et de pluie. On peut picorer dans le livre et savourer chaque poème au compte-goutte ou bien avaler le tout, de l’entrée jusqu’au dessert, pour connaître le fin mot de l’histoire.

Les images de Julia Chausson, la chaleureuse mise en page donnent encore plus de saveur à cet album publié par Rue du Monde à l’occasion du Printemps des poètes.

« Aujourd’hui il pleut des cordes
et on voudrait
sauter une journée »

La pluie est amoureuse du ruisseau, Poèmes de David Dumortier, Gravures de Julia Chausson, Collection Graines de mots, Rue du Monde, 44 pages, 2014, 16 €

ClaireD

L’heure des chats, Myriam Gallot

Pour Élise, qui va entrer au collège, c’est le dernier été de l’insouciance. On ressent de la sympathie pour l’héroïne du roman de Myriam Gallot, qui constate et comprend que les choses et les gens changent. Cette compréhension est souvent mêlée de déception : c’est le passage de l’enfance à l’adolescence. Basile, l’ami de toujours, plus tellement intéressé par leurs anciens jeux, est en revanche de plus en plus attiré par les grands à mobylettes. La fin de l’insouciance s’accompagne heureusement de découvertes et de la considération des adultes.  Cet été entre le CM2 et la sixième sera marqué par la rencontre d’Élise avec une vieille dame marginale, la vieille aux chats. Et tout ceci la rapprochera de son père.

L’heure des chats, Myriam Gallot, Syros, 6,50€

ClaireD

Tommy, RS Berner

Dans les albums de la série consacrée au quotidien du petit héros Tommy, un lapin anthropomorphe, Rotraut Susanne Berner raconte de façon originale les choses importantes de la vie (rituels du lever, arrivée d’une petite sœur, anniversaire, etc.). On tient dans les mains des albums-friandises, au trait simple, aux couleurs évidentes, à la narration fluide.

Inter-iconicité, clins d’œil au lecteur adulte, humour, surprises, histoire parallèle (une poule et ses poussins vivent des aventures similaires), confèrent aux albums de la série une profondeur d’autant plus impressionnante qu’ils s’adressent aux tout petits.

L’enfant est conduit à faire des connections d’un livre à l’autre, à créer du sens. La lecture, vraiment savoureuse, de chaque aventure s’enrichit ainsi de son appartenance à une série, à un réseau.

ClaireD

Un peu perdu / Bébés chouettes

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Deux formidables histoires de chouettes qui trouveront une grande résonance chez les jeunes enfants. Non pas spécialement parce qu’elles parlent de chouettes, mais parce qu’elles traitent de l’angoisse de la séparation.

L’album de Martin Waddell, devenu un classique, met en scène trois bébés chouettes qui, ne voyant plus leur maman, tentent de se raisonner mais finissent par se laisser gagner par l’angoisse. Ce bel album au format à l’italienne joue sur les plans pour nous faire ressentir l’émotion. Sur un ton plus léger, extrêmement drôle, dans un graphisme totalement différent, très réjouissant, l’album de Chris Haughton présente un bébé tombé du nid qu’un écureuil peu dégourdi va aider dans la recherche de sa mère.

Ces deux ouvrages offrent la possibilité pour l’enfant de mettre à distance de façon poétique la tension liée à la séparation. Et au terme de ces deux récits, le soulagement et le bonheur de se retrouver rassurent. Par leur forme simple, leur jeu de répétition, leur structure régulière, Bébés chouettes et Un peu perdu fournissent à l’enfant la continuité rassurante mise à mal par la crainte de la séparation.

 Un peu perdu, Chris Haughton, Thierry Magnier, 9€

Bébés chouettes, Martin WaddellPatrick Benson, Kaléidoscope, 11, 20€

ClaireD