interview d’Ilya Green par Sylvie

Séduits par ce beau livre-disque, aux Editions Didier Jeunesse, tant au niveau des oreilles que des yeux, nous n’avons pas résisté à l’envie de dialoguer, par questions-réponses interposées, avec l’illustratrice Ilya Green, dont les dernières collaborations avec Stéphane Servant, sur deux albums “Ti Poucet” et “Le masque”, nous avaient beaucoup touchés…

Voici donc un petit partage autour des coulisses de la création des “Plus belles berceuses Jazz” :

Le découpage semble tenir une part importante, parfois autant que le dessin, avec beaucoup de motifs collés, donnant l’impression d’être taillés directement dans des tissus, des papiers peints.. Et puis, le « crayonnage » apparaît… Les coups de crayon ne se cachent pas, comme si vous souhaitiez rendre l’enfant complice de tout ce « bricolage » très élaboré… Contrastes entre le dessin abouti et le montage… Vous donnez à voir votre jeu de création, à le partager, à travers les transparences, les superpositions… C’est chaleureux et jubilatoire… Dans quelle démarche, inscrivez-vous votre travail…

J’ai fait mes premiers livres en traitant la couleur à l’aide de l’informatique, ce qui permet bien sûr toutes sortes d’essais et de repentirs… Depuis un moment, j’avais vraiment envie de réaliser mes dessins entièrement sur papier sans me servir de l’ordinateur. Le découpage est un moyen pour moi de faire des essais de couleurs et de composition, car je pense que je n’ai pas tellement la faculté de projeter de bonnes combinaisons de couleurs et j’ai besoin de les expérimenter. Le découpage permet à la fois de retrouver l’aspect des à-plats très francs de couleurs que l’on a avec la colorisation numérique et aussi d’essayer, rater, bricoler, ça me plaît bien… La seule chose qui ne me plaît pas trop c’est le contact avec la colle, pour l’instant, je n’ai pas encore trouvé la technique miracle pour coller confortablement sans que le papier gondole, etc…
Par ailleurs, j’adore le papier et les papiers découpés, ça me change de cette pratique de dessin au trait… J’ai plein de projets en collages depuis quelques temps!
Par ailleurs, c’est vrai que les coups de crayons et les approximations ne se cachent pas… Lors de la réalisation d’un de mes derniers albums, j’ai découvert que mes dessins n’avaient pas vraiment besoin d’être peaufinés et tirés à 4 épingles, je crois que j’ai déjà un dessin assez précis et qui n’a pas besoin qu’on s’efforce de le figer dans une perfection technique… J’ai découvert ça parce que j’étais très en retard sur un projet, du coup, je n’avais pas le temps de parfaire mes illustrations et au final, et bien je me suis dit que c’était aussi bien comme ça…
Il faut savoir ce qui est important dans son dessin, pour certains, la précision technique sera vraiment constitutive du style, pour moi, je crois que ce n’est pas là que réside la personnalité de mes illustrations, mes personnages sont déjà tellement précis.

Contrastes également entre les différents champs…. Invité à entrer, le lecteur découvre le premier plan, apparemment simple, puis il vole, plonge, flotte, dans un univers coloré fait de détails mais sans surcharge avec un arrière-plan qui l’emporte plus loin dans l’imaginaire… Dans quelles dimensions souhaitez-vous l’emmener… Est-ce dû au monde de la nuit ou pas seulement ?

Ces images, j’avais vraiment envie que chacune puisse être comme une affiche. Ne pas surcharger l’image d’éléments narratifs mais juste créer une atmosphère, une image qui n’en dise pas trop mais assez pour qu’elle joue avec nos sens et que l’imaginaire puisse s’y engouffrer. Ce n’était pas dû au monde de la nuit mais plutôt d’une part, à la nature des chansons, dont les paroles évoquent, parfois de façon assez énigmatique (surtout avec la traduction que j’avais), des thèmes mais sans narration complexe. Et d’autre part, j’aime faire ce genre d’image, avec peu de contraintes narratives. C’est le moyen de dessiner un peu ce que je veux, en fait… Donc, des personnages, visages et corps, des enfants, des motifs et puis ce qui me passe par la tête…

 

On retrouve ces différents plans dans les regards qui semblent porter loin… Ailleurs ou en dedans ? …Beaucoup de douces rondeurs des visages qui laissent passer peu d’expression ou tout au moins presque la même…comme un masque commun… qui s’associent à plein d’autres rondeurs, éventails, cercles concentriques … Mystère de la rêverie, retenue des sentiments ou quoi d’autre? Avez-vous des influences ?

Je pense que le fait que les expressions ne soient pas très marquées est dû au fait que justement, je ne voulais pas faire des images trop narratives, qui racontent trop… 
Après, je pense que pas mal de chansons évoquent des sujets nostalgiques ou le rêve “d’un ailleurs” et du coup, c’est aussi l’expression de la nostalgie qui est une expression un peu délicate à transcrire, qui paraît dans certains regards.  En effet des regards au loin, en arrière, en soi, rêveurs et puis parfois partis dans le sommeil… C’est la tonalité des chansons qui m’a emmenée là…

Contrastes aussi entre le mutisme des visages clos par un petit sourire et le langage corporel qui apparaît très présent. Le ressenti est donné à travers les positions. Les sentiments passent par le corps qui entoure, qui enveloppe … Quel rôle joue-t’il pour vous ? A-t’il une place prépondérante ?

C’est assez japonais tout ça! Oui, le corps et les postures sont toujours très “parlants” dans mes dessins… J’ai dessiné beaucoup de modèles vivants à certaines périodes et j’ai longtemps voulu être danseuse, quand j’étais petite, et je pense que j’ai gardé un lien vraiment fort avec ça… Je suis fascinée par l’infinie variation des expressions chez l’être humain, visage et corps… Et la façon dont elles finissent par nous modeler avec l’histoire de nos émotions.

Porté par ces voix douces et chaleureuses, l’enfant peut tout à fait se « raconter » la chanson grâce à vos illustrations… A un moment de l’élaboration, confrontez-vous vos travaux aux interprétations des enfants ? Avancez-vous grâce à ces éventuels échanges ?

Non, pas du tout. Pour d’autres projets, oui, ça m’arrive de lire les histoires (dont je suis l’auteure) quand elles sont au stade des crayonnés, ça me permet de me rendre compte de ce qui pêche parfois sur le plan narratif, d’ajuster un peu le texte à la lecture et de vérifier si mon auditoire ne décroche pas au bout de 3mn!!… Mais ça concerne surtout le texte.
Pour le dessin, franchement, j’ai déjà assez de fil à retordre avec les retours de mon éditrice! 

On peut imaginer que l’album d’un CD musical se travaille avec une approche différente. Au-delà des textes, la mélodie, les voix, le jazz lui-même ont-ils été des composantes de votre création ?

Pour certaines chansons, oui… Mais malheureusement, souvent les projets musicaux sont élaborés avec des plannings qui ne permettent pas une bonne circulation des éléments. Pour les berceuses, j’ai cherché par moi-même les chansons, et je pense que dans certains cas, je ne suis pas tombée sur la bonne version.
Par ailleurs, je n’avais pas non plus la version traduite de Valérie Rouzeau mais des traductions assez sommaires, et du coup, des textes parfois assez opaques, je dois dire… même si j’en comprenais le thème et le sens global. Heureusement, j’avais une histoire personnelle avec certaines de ces chansons (j’adorais Billie Holiday quand j’avais une dizaine d’année…) et c’est aussi avec ces souvenirs que j’ai abordé ce projet.

« Techniquement » parlant, les textes s’intègrent parfaitement au « décor »… Etait-ce une contrainte de départ autour de laquelle vous avez bâti votre illustration ? De la même manière, le choix et l’harmonie des couleurs vous reviennent-ils ou bien composez-vous collectivement ?

Pour ce type de projet, je reçois une prémaquette, où le texte est calé pour me permettre de réaliser l’illustration en tenant compte de la place que prend le texte. Je peux toujours suggérer des modifications si ça me semble nécessaire. En ce qui concerne l’harmonie des couleurs, c’est moi qui “compose” (sauf pour la couverture) et j’ai le choix parfois limité de mes papiers! Du coup, la couverture est noire, parce que je n’ai jamais trouvé le papier chocolat sombre, que je voulais! J’avais proposé qu’on le fasse en changeant la couleur sur le fichier numérisé mais l’éditrice a préféré le noir…

Propos recueillis par Sylvie.

Ilya Green travaille actuellement sur un prochain album avec Stéphane Servant! Elle pense qu’il paraîtra en septembre 2013 ….