Archives pour la catégorie Critiques

Au bureau des objets trouvés, Junko Shibuya

Junko Shibuya, auteure-illustratrice et graphiste japonaise qui vit à Paris, nous avait déjà charmés avec ses deux albums contant les aventures d’un nain malin. L’épure du texte et de l’illustration y faisait ressortir l’intelligence des jeux de mots et d’images.

Outre le plaisir de tenir en mains ce petit album au délicat graphisme, Junko Shibuya nous offre à nouveau le bonheur de la devinette dans Au bureau des objets trouvés. Les uns après les autres, des animaux viennent trouver monsieur le Chien pour récupérer les objets qu’ils ont perdus. Cette limace, par exemple, a perdu sa maison. « Mais alors vous êtes… l’Escargot !».

Et cet ours blanc sans son cache-oreille, ses lunettes, son gilet et ses bottes ?

On vous laisse découvrir…

Jusqu’à la fin, inattendue et souriante, la tourne de page s’accompagne d’une réponse à la question posée précédemment.

Au bureau des objets trouvés image

Junko Shibuya, Au bureau des objets trouvés
Actes Sud Junior, avril 2016

À quoi ça rime? La nuit d’un nain malin
Autrement Jeunesse, février 2012

À quoi ça rime? L’aventure d’un nain malin
Autrement Jeunesse, mai 2010

Petite pépite, Nada Matta

Une fois n’est pas coutume, commençons par la fin. Sur la dernière page, émouvante et éclairante, l’auteure raconte sa relation à sa fille, son long et douloureux parcours vers l’acceptation et le bonheur d’être mère de cette enfant différente. Ce bonheur n’a pas été immédiat, loin de là. « Voilà pourquoi, quand les gens s’apitoient, posent des questions bizarres ou ont des regards étonnés, je les comprends ! Puisque même moi, sa mère, j’ai mis tout ce temps à m’aventurer… à m’approcher…», écrit Nada Matta.

L’album chemine de la même façon. D’abord, des questions s’égrènent, ramenant toujours à la norme : « Quel âge a-t-elle ? ». Les réponses, comme les couleurs, se font discrètes. Sur les pages de droite, de beaux portraits de l’enfant en noir et blanc. Puis la nature apparaît, l’enfant joue, danse, partage. A partir de la question « Elle est magique ? », le texte devient plus exalté :

« Oui !

Mais oui !

Elle est un peu magique !

Elle vit dans l’instant ! »

Peu à peu, le regard des autres perd de l’importance, le ton du narrateur se fait plus affirmé. Le doute laissant place aux certitudes heureuses, le texte prend des couleurs de témoignage et de partage.

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Petite Pépite, Nada Matta, éditions MeMo, 13€, à partir de 5 ans

Heu-reux!

En tant que lecteur, on adore être mené en bateau. Dans Heu-reux !, Christian Voltz nous trimbale sur un sentier, pour nous emmener là où on ne s’attendait pas. Ah ! Comme l’album jeunesse sait être audacieux ! Le récit, faussement classique, du fils d’un roi pour trouver à se marier, est mené avec une réjouissante verve.

Pour ceux qui veulent garder l’effet de surprise, il faut s’arrêter là, tout de suite, avant d’obtenir des informations sur la chute. Je suggère, pour combler la frustration, d’aller faire un tour sur le site de l’auteur qui ne révélera rien de la fin.

Pour les autres, disons que cet album en dit long, bien plus long qu’un long discours sur le respect de l’orientation sexuelle.

Heu-reux ! - Le rouergue - 2016

Christian Voltz, Heu-reux !, Rouergue, 13,50€, à partir de 5 ans

Bonne nouvelle : un nouveau Tommy!

Un nouvel opus vient enrichir la série des Tommy dont nous vantions les mérites ici.

Tommy – À l’aventure

Tommy à l’aventure, Rotraut Susanne Berner, La joie de lire, 10,90€, dès 2 ans.

La Joie de lire a entrepris la réédition des précédents titres de ces fabuleux albums pour tout petits.

Autres titres disponibles de la série : La surprise, De bon matin, L’anniversaire

Le sorcier vert, Muriel Kerba, Valentine Goby

Il y a d’abord eu les illustrations de Muriel Kerba, végétales, entrelacées, texturées. Elles ont été ensuite confiées à l’auteure Valentine Goby pour qu’elle écrive le texte de l’album. C’est le principe de la collection : l’histoire n‘arrive qu’une fois les images terminées.

Valentine Goby a choisi de raconter l’histoire vraie de Sebastião Salgado, photojournaliste brésilien reconnu dans le monde entier.

Revenu sur sa terre natale, il découvre que tous les arbres ont été coupés. Poussé par une amie d’enfance et avec de rares compagnons, il décide de replanter la forêt de son enfance. Cette aventure va mettre à l’épreuve sa persévérance mais n’ébranlera pas sa volonté. Planter des arbres devient le plus fou et le plus beau des projets.

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Valentine Goby, Muriel Kerba, Le sorcier vert, dès 6 ans, Thierry Magnier, collection Les décadrés, 16,80€.

Pique-nique sous la pluie

Une situation (ici l’aller-retour pour un pique-nique), un départ (sous la pluie) et une arrivée (sous un beau soleil), et le lecteur est embarqué. Il suit le trajet du car qui transporte le groupe d’enfants jusqu’au lieu du pique-nique, traversant des paysages tous différents.

Légèreté et insouciance caractérisent ce type d’albums dont le Japon détient le secret de fabrication.

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Naokata Mase, Pique-nique sous la pluie, Seuil jeunesse, 13,90€, dès 3 ans

Le garçon qui volait des avions, Elise Fontenailles

Colton Harris-Moore, le « bandit aux pieds nus », devenu une célébrité aux Etats-Unis, a été condamné à une peine de prison en 2010 après une longue et incroyable cavale. Une enfance extrêmement difficile avec un père violent, une mère alcoolique et un mobil-home pour habitat, sa pauvreté et les défaillances de la société n’ont pas fait de lui le délinquant qu’on aurait pu attendre. Il est devenu au contraire ce gentil bandit, ce héros de la forêt, ce génie du vol pour lequel Elise Fontenailles s’est passionnée depuis le début et qui compte des dizaines de milliers de fans sur Facebook. Après des vols de nourriture dans les maisons secondaires, il a jeté son dévolu sur des voitures, des bateaux, puis des avions, qu’il a appris à piloter en autodidacte. Comme elle excelle à le faire (voir Les trois sœurs et le dictateur ici, Eben ou les yeux de la nuit ici), l’auteure met en contact le lecteur adolescent ou adulte avec un fait divers, une réalité historique grâce à la fiction et l’invite à poursuivre sa réflexion, à prendre parti.

Le garçon qui volait des avions, Elise Fontenailles, Rouergue collection Doado, 8,30€

 

Monsieur Chocolat, le premier clown noir

Monsieur Chocolat raconte la fabuleuse histoire de Rafael Padilla, fils d’esclaves à Cuba, devenu clown acclamé par le Paris de la « Belle Epoque ». Un film de Roschdy Zem, sorti conjointement en février 2016, a remis l’artiste tombé dans l’oubli sous les projecteurs. La maison d’édition Rue du Monde, dans sa collection « Les grands portraits », participe à cette réhabilitation avec – comme à son habitude – des mots bien choisis, des illustrations et une mise en page au service du récit et des pages documentaires en fin d’ouvrage.

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Monsieur Chocolat, le premier clown noir, Bénédicte Rivière, Bruno Pilorget, Rue du monde, coll Les grands portraits, 17,50€

 

C’est juste Stanley

Dans C’est juste Stanley, les membres de la famille Wimbledon sont dérangés dans leur sommeil par les activités quelque peu bruyantes du chien Stanley. Infatigablement, il semble qu’il répare la cuve à mazout, prépare un bouillon de poisson, débouche la baignoire. Malgré son mutisme, c’est bien autour de ce personnage de Stanley, montré en hyperactivité, que le récit tourne.

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On croit avoir affaire à un récit du quotidien empreint d’humour et de fantaisie, à un mini drame familial dans un « picture book » à la John Burningham. L’album recèle quelque chose de très british, on pense à Wallace et Gromit. Mais la fin, percutante, fait prendre au livre une dimension inattendue, extraordinaire et romantique…

La chute, réjouissante, assez abrupte, donne en effet un nouveau jour au début du récit.

ClaireD

Jon Agee, C’est juste Stanley, école des loisirs, 13€, à partir de 5 ans

Michel Van Zeveren, Mè keskeussè keu sa?

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Personnes un peu coincées :

  • On se moque des enfants en leur proposant comme modèle de langage quelque chose d’aussi abêtissant.

Gens très ouverts et très intelligents ayant réfléchi à la question :

  • Il faut au contraire beaucoup de recul sur sa propre langue pour apprécier ce langage – du français simplifié et orthographié différemment – censé retranscrire la façon de parler de ces deux personnages des cavernes. La lecture de cet album fournit aussi le moyen de prendre du recul sur sa propre langue. Le fait de comprendre, malgré toute cette distance, est jubilatoire pour le lecteur.

Personnes un peu coincées :

  • Comment le lecteur pourrait-il s’identifier à des personnages aussi ridicules qui ne savent même pas ce que c’est qu’un enfant ?!

Gens très ouverts et très intelligents ayant réfléchi à la question :

  • Cela donne au lecteur le sentiment d’avoir une longueur d’avance sur les personnages. Et en même temps, ne sont-ils pas incroyablement attachants, ce Koko et cette Kiki, dans leur apprentissage de la parentalité ?

En conclusion, de par sa dimension métalinguistique et son humour totalement inventif, le dernier album de Michel Van Zeveren en dit long sur le mystère du lien qui se noue entre parents et enfants.

Michel Van Zeveren, Mè keskeussè keu sa ?, Pastel, 13,20€