Les mystères de Larispem, Lucie Pierrat-Pajot

Pour sa deuxième édition, le concours du premier roman jeunesse organisé par Gallimard-RTL-Télérama a récompensé cette année Lucie Pierrat-Pajot, pour son roman rétrofuturiste Les mystères de Larispem.

Critique Télérama des Mystères de Larispem :

Lucie Pierrat-Pajot a la phrase claire et le ton vif, le goût des histoires qui savent se libérer des amarres du réel pour se laisser porter par le souffle de l’imaginaire, et une préférence pour les héroïnes dans son genre, déterminées et audacieuses. Son premier roman, Les Mystères de Larispem, clin d’œil à Eugène Sue, joue subtilement la carte du feuilleton et emporte d’emblée l’adhésion : difficile de résister à l’aventure. Cette fan de Tolkien, d’Alice, de Harry Potter, des Royaumes du Nord embarque ainsi ses lecteurs pour un voyage au tournant des XIXe et XXe siècles. Et si la Commune avait réussi, sauvée des Versaillais grâce à la ruse et la bravoure de garçons bouchers ? L’ancienne capitale de la France est devenue Larispem — Paris, en argot des bouchers —, cité-Etat indépendante vouée à l’éga­lité et au culte du progrès personnifié par la figure de Jules Verne. Liberté et Carmine, deux amies inséparables, l’une as de l’horlogerie, l’autre virtuose de la boucherie, et Nathanaël, orphelin aux origines inconnues, vont se retrouver au cœur d’un complot ourdi par les Frères du sang, aristocrates hantés par la revanche et doués d’un mystérieux pouvoir… Une suite est déjà prévue à ce premier volume. C’est tout le plaisir du feuilleton.

Lucie Pierrat-Pajot, Les mystères de Larispem, Le sang jamais n’oublie, Gallimard Jeunesse, 272 p., 16 €.

L’arbre d’Albert, Jenni Desmond

Prêts à plonger dans du coton ?

Jenni Desmond décrit et peint la tendresse, les petites angoisses, la peur et les joies simples. Au final, on se blottirait bien, nous aussi, au creux de l’arbre, voire au creux de l’épaisse fourrure du tendre Albert.

L’arbre d’Albert narre, au sortir de l’hiver, les joyeuses retrouvailles de l’ours avec son arbre. Mais une surprise attend Albert : son arbre pleure. Décontenancé, il cherche, par tous les moyens, à le consoler. Autour de l’arbre se joue surtout l’histoire de la naissance d’une amitié prometteuse.

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L’arbre d’Albert, Jenni Desmond, l’école des loisirs, Kaléidoscope, 13€, dès 3 ans

Je suis tout, Anne Letuffe

On avait admiré et chroniqué ici Le tout petit d’Anne Letuffe qui explorait par des photographies et des dessins le corps dans son environnement. L’artiste récidive avec un nouvel imagier centré sur les émotions. Mêmes dialogues avec la nature, même jeux de découpe pour un résultat aussi admirable que précédemment.

Je suis tout, Anne Letuffe, Atelier du poisson soluble, 18,50€

Pour les livres, le temps est souvent cruel. On publie, on publie, on oublie, on passe à autre chose. On est à la recherche de nouveautés, on s’intéresse au très récent.

Est-ce que tel livre aura moins de saveur parce que je ne l’ai pas lu au moment de sa sortie ? Est-ce que tel autre n’aura pas droit à la vie parce qu’il a la malchance de sortir en même temps qu’un bestseller annoncé ? S’ils ne rencontrent pas leur public au moment où ils sortent, nombre de livres sont susceptibles de tomber dans l’oubli. Ainsi, j’éprouve toujours beaucoup de satisfaction et de gratitude quand des éditeurs prennent la courageuse décision de rééditer des perles oubliées. C’est un service rendu à l’intemporalité des histoires, un pied de nez à la course au neuf, une belle invitation à ne pas regarder toujours devant soi.

JPEG - 77.7 koRien que pour toi

Collection Les grandes rééditions chez MeMo

Collection Folio Benjamin chez Gallimard Jeunesse

Collection Cligne-Cligne chez Didier Jeunesse

Course épique, Marie Dorléans

Depuis que j’ai rencontré son style, j’ai un petit faible pour Marie Dorléans. Ses personnages précieux, dandys, aristos, décalés, m’enchantent. Son souci du détail me ravit. J’adhère totalement à son humour très british qui dénote une incroyable sensibilité artistique.

Tout en longueur, sur un papier épais, nous assistons dans sa nouvelle création à une épique course hippique. Tout en mouvement, en rebondissements, en joyeuses trouvailles, l’album déroule un véritable spectacle d’une formidable drôlerie.

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Marie Dorléans, Course épique, Sarbacane, 16,50€, dès 5 ans

L’histoire perdue, Marti / Salomo

Aujourd’hui, nous ne tournerons pas la page. Arrêtons-nous sur une seule image, celle de la couverture de l’album de Meritxell Martí et Xavier Salomó, et voyons comment elle nous appelle brillamment à entrer dans l’histoire.

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Où suis-je tombée ? Qui sont ces personnages qui m’observent avec étonnement depuis le haut d’un grand trou ? Pourquoi les regards sont-ils braqués sur moi ?

L’image donne au lecteur, dès la page de couverture, un rôle central : tous les regards convergent vers celui qui tient le livre. Encore hors champ, hors du livre, le lecteur va devoir se hisser hors du trou. L’illustration appelle ainsi le lecteur à entrer dans l’histoire. Le titre, en position centrale sur la page, sonne comme une mission : cette histoire perdue, dont il est question dans le titre, il va s’agir, cher lecteur, de la reconstituer.

Dès la couverture, le lecteur est donc plongé au cœur de la création littéraire. L’image annonce que l’album n’a pas fini de jouer avec les codes de cette création. L’originalité du livre réside en effet dans la mise en abyme de deux discours en dichotomie : celui de l’auteur et celui de l’illustrateur. Quand les deux discours entrent en lutte, ils n’empêchent non seulement pas l’histoire de se dérouler, mais ils la provoquent, créant l’impression qu’elle prend corps sous nos yeux.

L’Histoire perdue, Meritxell Martí et Xavier Salomó, Seuil Jeunesse, à partir de 6 ans, 13, 50€

Au bureau des objets trouvés, Junko Shibuya

Junko Shibuya, auteure-illustratrice et graphiste japonaise qui vit à Paris, nous avait déjà charmés avec ses deux albums contant les aventures d’un nain malin. L’épure du texte et de l’illustration y faisait ressortir l’intelligence des jeux de mots et d’images.

Outre le plaisir de tenir en mains ce petit album au délicat graphisme, Junko Shibuya nous offre à nouveau le bonheur de la devinette dans Au bureau des objets trouvés. Les uns après les autres, des animaux viennent trouver monsieur le Chien pour récupérer les objets qu’ils ont perdus. Cette limace, par exemple, a perdu sa maison. « Mais alors vous êtes… l’Escargot !».

Et cet ours blanc sans son cache-oreille, ses lunettes, son gilet et ses bottes ?

On vous laisse découvrir…

Jusqu’à la fin, inattendue et souriante, la tourne de page s’accompagne d’une réponse à la question posée précédemment.

Au bureau des objets trouvés image

Junko Shibuya, Au bureau des objets trouvés
Actes Sud Junior, avril 2016

À quoi ça rime? La nuit d’un nain malin
Autrement Jeunesse, février 2012

À quoi ça rime? L’aventure d’un nain malin
Autrement Jeunesse, mai 2010

Petite pépite, Nada Matta

Une fois n’est pas coutume, commençons par la fin. Sur la dernière page, émouvante et éclairante, l’auteure raconte sa relation à sa fille, son long et douloureux parcours vers l’acceptation et le bonheur d’être mère de cette enfant différente. Ce bonheur n’a pas été immédiat, loin de là. « Voilà pourquoi, quand les gens s’apitoient, posent des questions bizarres ou ont des regards étonnés, je les comprends ! Puisque même moi, sa mère, j’ai mis tout ce temps à m’aventurer… à m’approcher…», écrit Nada Matta.

L’album chemine de la même façon. D’abord, des questions s’égrènent, ramenant toujours à la norme : « Quel âge a-t-elle ? ». Les réponses, comme les couleurs, se font discrètes. Sur les pages de droite, de beaux portraits de l’enfant en noir et blanc. Puis la nature apparaît, l’enfant joue, danse, partage. A partir de la question « Elle est magique ? », le texte devient plus exalté :

« Oui !

Mais oui !

Elle est un peu magique !

Elle vit dans l’instant ! »

Peu à peu, le regard des autres perd de l’importance, le ton du narrateur se fait plus affirmé. Le doute laissant place aux certitudes heureuses, le texte prend des couleurs de témoignage et de partage.

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Petite Pépite, Nada Matta, éditions MeMo, 13€, à partir de 5 ans

Heu-reux!

En tant que lecteur, on adore être mené en bateau. Dans Heu-reux !, Christian Voltz nous trimbale sur un sentier, pour nous emmener là où on ne s’attendait pas. Ah ! Comme l’album jeunesse sait être audacieux ! Le récit, faussement classique, du fils d’un roi pour trouver à se marier, est mené avec une réjouissante verve.

Pour ceux qui veulent garder l’effet de surprise, il faut s’arrêter là, tout de suite, avant d’obtenir des informations sur la chute. Je suggère, pour combler la frustration, d’aller faire un tour sur le site de l’auteur qui ne révélera rien de la fin.

Pour les autres, disons que cet album en dit long, bien plus long qu’un long discours sur le respect de l’orientation sexuelle.

Heu-reux ! - Le rouergue - 2016

Christian Voltz, Heu-reux !, Rouergue, 13,50€, à partir de 5 ans

Les Malheurs de Sophie

Bravo et merci à Christophe Honoré de nous proposer une version des Malheurs de Sophie dans l’esprit de la Comtesse !

Sophie, c’est une héroïne truculente, dynamique, formidablement « attachiante ». Sans l’aide de l’Education nationale qui l’a toujours boudée, ses aventures ont toujours séduit les enfants qui frémissent et rient des incroyables bêtises de l’héroïne. « Comment peut-elle faire une chose pareille ? », se demande-t-on, et cette question traduit autant d’effarement que d’admiration.

Une espèce de méfiance plane encore, on ne sait pourquoi, sur les livres de la Comtesse de Ségur. Ne seraient-ils pas désespérément empreints de bons sentiments, de manichéisme, de pudibonderie, de traditionalisme réactionnaire ? En aucune façon !

La lecture de ses ouvrages préparera ou prolongera avec bonheur une éventuelle séance de cinéma.

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Comtesse de Ségur, Les Malheurs de Sophie, Les Petites Filles modèles, dans n’importe quelle version de 1858 à 2016, dès 5 ans.

Christophe Honoré, Les Malheurs de Sophie, avec Muriel Robin, Anaïs DemoustierGolshifteh Farahani, sortie le 20 avril 2016