L’incontournable monstre Maurice Sendak

Monstre sacré dans le domaine de la littérature pour la jeunesse, modèle parmi les modèles pour les auteurs-illustrateurs, référence incontestée pour les lecteurs et les chercheurs, Maurice Sendak est incontournable.

Max et les maximonstres est le livre sans cesse cité, un symbole, un paradigme, un point de départ impossible à ignorer. Son contenu psychologique a suscité bien des interprétations, la relation texte/images et la mise en page n’ont pas fini de faire l’objet de passionnantes analyses. Max et les maximonstres est un album profond, marquant, éclairant.

Max et les maximonstres

Mickey se réveille au milieu de la nuit et fait un voyage dans la pâte à pain, dans le ciel, à dos d’avion brioché, dans le lait. La nudité du personnage en a fait un des livres les plus censurés et interdits. Album aux multiples lectures, bourré de références culinaires, hommage au dessinateur américain de cartoons Winsor McCay, Cuisine de nuit est un album légende, un album-nourriture.

Cuisine de nuit

 

Prosper-Bobik, école des loisirs, 2015, 13,50€

Le cochon anthropomorphe Prosper-Bobik n’a jamais eu la joie de fêter son anniversaire, ses parents « désapprouvant toute forme de gaieté ». A 8 ans, Prosper-Bobik devenu orphelin a été recueilli par sa tante. Chez elle, avec elle et aussi un peu malgré elle, il va vivre sa première fête d’anniversaire.

L’univers déjanté, la langue (traduction d’Agnès Desarthe), les situations et les images tout aussi rocambolesques font de cet album un ovni. Mais on ne résiste pas à la tentation de retourner plonger dans les images. Et cet étonnement participe de la fascination qu’exerce le livre. Les doubles-pages carnavalesques mettant en scène des cochons déguisés en humains méritent à elles-seules le détour.

 

Monsieur le lièvre voulez-vous m’aider ?, école des loisirs, première édition 1962, 12,70€

Extase. Tout ce que je vais chercher dans un album se trouve dans celui-ci.

D’abord, il y a cette phrase qui ouvre le livre et le dialogue : « Monsieur le lièvre, je suis embarrassée. Voulez-vous m’aider ? »

Je me pâme d’admiration devant cette entrée en forme de question. Et comme il est beau, ce vouvoiement. D’où sort cette enfant ? Et qui est ce lièvre ? C’est justement l’absence d’explication, le mystère de cette rencontre qui nous fait entrer dans la profondeur du texte et des images. Ce qui compte, c’est le naturel de la relation entre les deux personnages, elle va de soi. Certainement, le lièvre va aider la petite fille à trouver un cadeau d’anniversaire pour sa maman.

Avec le « je », et le « vous », avec la formulation explicite d’une demande, la question initiale contient l’essence de l’échange qui va avoir lieu entre les personnages sous les yeux du lecteur. A partir de cette question, la relation s’enclenche et toute l’histoire se déroule. Et l’histoire, sans intervention d’un narrateur qui viendrait déranger cette relation, n’est que ce dialogue entre la petite fille et le lièvre. Ainsi ne représente-t-elle qu’un instant. La fugacité du moment le rend d’autant plus magique. Et le mystère de cet instant ne persiste que plus durablement dans la mémoire du lecteur.

Ici, les images de Maurice Sendak – qui n’est pas auteur du texte – ne débordent pas du cadre. Ses somptueux tableaux sur la page de droite viennent illuminer le texte qui figure sur la page de gauche. J’associe cette mise en page classique à l’absence de narrateur évoquée plus haut : rien ne doit venir perturber cet échange et sa merveilleuse finalité.

Afficher l'image d'origine

Quand papa était loin

La courageuse Ida entreprend un périple pour délivrer sa petite sœur des lutins qui veulent la marier. Maurice Sendak parlant de son livre :

« Quand papa était loin a suscité une certaine hostilité de la part des enfants, mais c’est un livre qui leur donne à ruminer ; ça fonctionne, c’est tout ce que je sais. »

« Quand papa était loin est le plus personnel de mes livres et mon album préféré. Il est principalement fondé sur une terreur d’enfant. »

Afficher l'image d'origine

 

Brundibar

Le conte met en scène un frère et une sœur qui se rendent à la ville chercher du lait pour leur mère malade. Ils se heurtent à la tyrannie de Brundibar qu’ils vaincront grâce à l’aide des animaux et des écoliers de la ville.

La connaissance du contexte politique de création de cet opéra tchèque de Hans Krása sur un livret d’Adolf Hoffmeister rend la découverte de l’œuvre d’autant plus poignante. La grande majorité des artistes ayant participé à la première représentation clandestine dans un orphelinat de Prague ont été déportés dans le camp de Theresienstadt, antichambre d’Auschwitz. L’opéra y a été joué à maintes reprises.

Dans cette adaptation, Tony Kushner, avec la traduction en français d’Agnès Desarthe, et surtout Maurice Sendak parviennent, alors qu’ils s’adressent aux enfants, à ne rien taire de l’horreur. Les intenses images criardes, inquiétantes et captivantes avec des personnages adultes déformés présentent un agglutinement de détails dans lesquels de nombreuses références sont à trouver : des étoiles de David, l’insigne « Arbeit macht frei » des camps de concentration, des corbeaux omniprésents annonciateurs de malheurs, Hansel et Gretel, le boulanger de Cuisine de nuit et l’allusion à son four, etc.

Pour le sujet qu’il aborde, pour le contexte politique, pour le message de dénonciation de la tyrannie et pour la géniale interprétation qu’en propose l’artiste Sendak, l’album Brundibar est nécessaire.

Afficher l'image d'origine

Citations :

« Max et les Maximonstres n’a pas été créé pour plaire à tout le monde – seulement aux enfants. »

« Je pense que mon travail a ceci de miraculeux qu’il m’a permis de rester en vie et m’a tenu occupé. »

« Je veux être du plancton. Le plancton n’est pas détectable au radar et paraît réellement affairé. Tu regardes la chaîne « Découverte » et tu le vois glouglouter et gargouiller et, juste derrière, il y a Moby Dick. Le plancton est trop petit pour abriter un ego quelconque et cependant il a toujours l’air très occupé. Si tu regardes en bas du haut de l’Empire State Building, tout le monde ressemble à du plancton. Alors ça me convient d’être du plancton, pas parce que je feins la modestie, mais parce que j’espère que la grande réponse c’est qu’il n’y en a pas, alors ça suffit ! »