Archives pour la catégorie Critiques

Le chat d’Enoshima, Slocombe, Nemiri

Comme le titre l’indique, c’est au Japon que Nicolas Nemiri et Romain Slocombe, tous deux spécialistes de ce pays, situent l’action de leur album. Entre la mer et Tokyo, on suit l’aventure de Tomomi, contrainte, à la disparition de son père, de quitter sa maison au bord de la plage. De même que les illustrations donnent une impression de mouvement continu, le texte coule, limpide. Le chat d’Enoshima s’ancre dans un lieu, mais le dépaysement n’empêche pas de ressentir une grande proximité avec ce qui touche l’héroïne. C’est donc à la fois pour le décor – japonais – et pour l’universalité de l’histoire qu’on apprécie Le chat d’Enoshima.

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Nicolas Nemiri et Romain Slocombe, Le chat d’Enoshima, Le petit lézard, 18€

Les cahiers d’Esther, Riad Sattouf

C’est aux adultes, parents ou futurs parents de pré-ados, que je conseille aujourd’hui une lecture aussi réjouissante que flippante, Les cahiers d’Esther.

Riad Sattouf croque page après page le quotidien d’Esther, 10 ans, à l’école primaire, à la maison, en vacances. Esther est fan de Kendji Girac, elle rêve par-dessus tout d’avoir un iPhone 6 et s’imagine plus tard blonde, pulpeuse et chanteuse. On rit beaucoup devant ces planches de bande dessinée, on s’attendrit, on s’interroge aussi : « Est-ce que j’ai vraiment cette espèce-là à la maison ? » ou : « Est-ce que je vais devoir me coltiner ça ? ». On se rassure un peu : « Non, les autres enfants oui, mais les miens ne sont pas comme ça ! »

C’est épatant comme le trait et le texte de Riad Sattouf, qui vont droit-au-but, savent restituer les mimiques, les situations et les sentiments. Pour Les cahiers d’Esther, compilation de pages publiées depuis 2014 dans l’Obs, il s’inspire de la vraie Esther, fille d’amis, qu’il compte suivre jusqu’à ses 18 ans ! On n’a pas fini de flipper…

Riad Sattouf, Les cahiers d’Esther, Histoires de mes 10 ans, Allary éditions, 16,90€

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Songe à la douceur

Songe à la douceur

J’ai le cafard de la fin et le stress de la chronique.

Le cafard de la fin, parce qu’en refermant le dernier livre de Clémentine Beauvais, je viens de dire au revoir à une sublime histoire d’amour, fabuleusement racontée. Et déjà s’empare de moi la nostalgie de l’écriture talentueuse de l’auteure, la nostalgie de cette sorte de connivence qu’elle a créée avec moi, lectrice. Je dois accepter de laisser s’éloigner Eugène et Tatiana, les personnages avec lesquels j’étais, au cours de la lecture-magie, en si grande proximité.

Le stress de la chronique, parce que je sais d’avance que mes mots ne pourront dire mon plaisir et mon admiration de lectrice.

A la lecture très enthousiaste de ses précédents romans, Comme des images, Les petites reines, j’ai senti comme tant d’autres un talent unique, une rare amplitude artistique chez Clémentine Beauvais. Non seulement elle crée des romans « jepeuxpaslelacher », non seulement elle se renouvelle à chaque publication, mais en plus, elle renouvelle le genre. Je ne peux pas dire mieux.

Il faudrait être bien peu clairvoyant pour ne pas voir monter le raz-de-marée littéraire et médiatique qui va finir de propulser Clémentine Beauvais au sommet des écrivains. Amie de Clémentine je suis, amie je demeure. Et pour étendre cette amitié, j’attends la sortie du livre, au mois d’août, pour pouvoir offrir Songe à la douceur à tous ceux à qui je veux du bien.

ClaireD (chavirée)

Sssi j’te mords

Fameuse nouvelle : deux histoires publiées à l’origine en album sont disponibles dans une version à écouter… et c’est Pierre Delye qui régale ! Les Aventures de P’tit Bonhomme et Moitié de Coq qu’on avait précédemment découverts nous avait remplis la panse de bonheur.

Voilà à nouveau tous les ingrédients réunis pour faire un succulent livre-disque.

Crème de la crème des raconteurs d’histoire, Pierre Delye propose deux récits dans des versions haletantes et farfelues. On adore retrouver sa pâte unique, faite d’humour, de jeux de mots, de clins d’œil.

La musique originale assaisonne parfaitement le tout, soutenant la compréhension et apportant une note sucrée.

En parfait accommodement, on déguste les images malicieuses et craquantes de Cécile Hudrisier.

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Pierre Delye, Cécile Hudrisier, Grégory Allaert, Sssi j’te mors et Les Musiciens de La Nouvelle-Brême, Didier jeunesse, 22,80€

Sur la route des vacances

Quand on a épuisé tout son répertoire de chansons, quand on en a assez de compter les voitures rouges et qu’on connaît déjà les tables de multiplication sur le bout des doigts, quand l’inspiration fait défaut… hop un CD!

La route des vacances promet d’être joyeusement rythmée par le livre-disque En route. Pour les longs trajets en voiture, Enfance et Musique propose ici une sélection de 21 chansons de son catalogue. Le livre comprend les paroles des chansons, ainsi que plusieurs pages de jeux.

Les mystères de Larispem, Lucie Pierrat-Pajot

Pour sa deuxième édition, le concours du premier roman jeunesse organisé par Gallimard-RTL-Télérama a récompensé cette année Lucie Pierrat-Pajot, pour son roman rétrofuturiste Les mystères de Larispem.

Critique Télérama des Mystères de Larispem :

Lucie Pierrat-Pajot a la phrase claire et le ton vif, le goût des histoires qui savent se libérer des amarres du réel pour se laisser porter par le souffle de l’imaginaire, et une préférence pour les héroïnes dans son genre, déterminées et audacieuses. Son premier roman, Les Mystères de Larispem, clin d’œil à Eugène Sue, joue subtilement la carte du feuilleton et emporte d’emblée l’adhésion : difficile de résister à l’aventure. Cette fan de Tolkien, d’Alice, de Harry Potter, des Royaumes du Nord embarque ainsi ses lecteurs pour un voyage au tournant des XIXe et XXe siècles. Et si la Commune avait réussi, sauvée des Versaillais grâce à la ruse et la bravoure de garçons bouchers ? L’ancienne capitale de la France est devenue Larispem — Paris, en argot des bouchers —, cité-Etat indépendante vouée à l’éga­lité et au culte du progrès personnifié par la figure de Jules Verne. Liberté et Carmine, deux amies inséparables, l’une as de l’horlogerie, l’autre virtuose de la boucherie, et Nathanaël, orphelin aux origines inconnues, vont se retrouver au cœur d’un complot ourdi par les Frères du sang, aristocrates hantés par la revanche et doués d’un mystérieux pouvoir… Une suite est déjà prévue à ce premier volume. C’est tout le plaisir du feuilleton.

Lucie Pierrat-Pajot, Les mystères de Larispem, Le sang jamais n’oublie, Gallimard Jeunesse, 272 p., 16 €.

L’arbre d’Albert, Jenni Desmond

Prêts à plonger dans du coton ?

Jenni Desmond décrit et peint la tendresse, les petites angoisses, la peur et les joies simples. Au final, on se blottirait bien, nous aussi, au creux de l’arbre, voire au creux de l’épaisse fourrure du tendre Albert.

L’arbre d’Albert narre, au sortir de l’hiver, les joyeuses retrouvailles de l’ours avec son arbre. Mais une surprise attend Albert : son arbre pleure. Décontenancé, il cherche, par tous les moyens, à le consoler. Autour de l’arbre se joue surtout l’histoire de la naissance d’une amitié prometteuse.

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L’arbre d’Albert, Jenni Desmond, l’école des loisirs, Kaléidoscope, 13€, dès 3 ans

Je suis tout, Anne Letuffe

On avait admiré et chroniqué ici Le tout petit d’Anne Letuffe qui explorait par des photographies et des dessins le corps dans son environnement. L’artiste récidive avec un nouvel imagier centré sur les émotions. Mêmes dialogues avec la nature, même jeux de découpe pour un résultat aussi admirable que précédemment.

Je suis tout, Anne Letuffe, Atelier du poisson soluble, 18,50€

Course épique, Marie Dorléans

Depuis que j’ai rencontré son style, j’ai un petit faible pour Marie Dorléans. Ses personnages précieux, dandys, aristos, décalés, m’enchantent. Son souci du détail me ravit. J’adhère totalement à son humour très british qui dénote une incroyable sensibilité artistique.

Tout en longueur, sur un papier épais, nous assistons dans sa nouvelle création à une épique course hippique. Tout en mouvement, en rebondissements, en joyeuses trouvailles, l’album déroule un véritable spectacle d’une formidable drôlerie.

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Marie Dorléans, Course épique, Sarbacane, 16,50€, dès 5 ans

L’histoire perdue, Marti / Salomo

Aujourd’hui, nous ne tournerons pas la page. Arrêtons-nous sur une seule image, celle de la couverture de l’album de Meritxell Martí et Xavier Salomó, et voyons comment elle nous appelle brillamment à entrer dans l’histoire.

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Où suis-je tombée ? Qui sont ces personnages qui m’observent avec étonnement depuis le haut d’un grand trou ? Pourquoi les regards sont-ils braqués sur moi ?

L’image donne au lecteur, dès la page de couverture, un rôle central : tous les regards convergent vers celui qui tient le livre. Encore hors champ, hors du livre, le lecteur va devoir se hisser hors du trou. L’illustration appelle ainsi le lecteur à entrer dans l’histoire. Le titre, en position centrale sur la page, sonne comme une mission : cette histoire perdue, dont il est question dans le titre, il va s’agir, cher lecteur, de la reconstituer.

Dès la couverture, le lecteur est donc plongé au cœur de la création littéraire. L’image annonce que l’album n’a pas fini de jouer avec les codes de cette création. L’originalité du livre réside en effet dans la mise en abyme de deux discours en dichotomie : celui de l’auteur et celui de l’illustrateur. Quand les deux discours entrent en lutte, ils n’empêchent non seulement pas l’histoire de se dérouler, mais ils la provoquent, créant l’impression qu’elle prend corps sous nos yeux.

L’Histoire perdue, Meritxell Martí et Xavier Salomó, Seuil Jeunesse, à partir de 6 ans, 13, 50€