Tous les articles par croquelinottes

Tommy, RS Berner

Dans les albums de la série consacrée au quotidien du petit héros Tommy, un lapin anthropomorphe, Rotraut Susanne Berner raconte de façon originale les choses importantes de la vie (rituels du lever, arrivée d’une petite sœur, anniversaire, etc.). On tient dans les mains des albums-friandises, au trait simple, aux couleurs évidentes, à la narration fluide.

Inter-iconicité, clins d’œil au lecteur adulte, humour, surprises, histoire parallèle (une poule et ses poussins vivent des aventures similaires), confèrent aux albums de la série une profondeur d’autant plus impressionnante qu’ils s’adressent aux tout petits.

L’enfant est conduit à faire des connections d’un livre à l’autre, à créer du sens. La lecture, vraiment savoureuse, de chaque aventure s’enrichit ainsi de son appartenance à une série, à un réseau.

ClaireD

Un peu perdu / Bébés chouettes

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Deux formidables histoires de chouettes qui trouveront une grande résonance chez les jeunes enfants. Non pas spécialement parce qu’elles parlent de chouettes, mais parce qu’elles traitent de l’angoisse de la séparation.

L’album de Martin Waddell, devenu un classique, met en scène trois bébés chouettes qui, ne voyant plus leur maman, tentent de se raisonner mais finissent par se laisser gagner par l’angoisse. Ce bel album au format à l’italienne joue sur les plans pour nous faire ressentir l’émotion. Sur un ton plus léger, extrêmement drôle, dans un graphisme totalement différent, très réjouissant, l’album de Chris Haughton présente un bébé tombé du nid qu’un écureuil peu dégourdi va aider dans la recherche de sa mère.

Ces deux ouvrages offrent la possibilité pour l’enfant de mettre à distance de façon poétique la tension liée à la séparation. Et au terme de ces deux récits, le soulagement et le bonheur de se retrouver rassurent. Par leur forme simple, leur jeu de répétition, leur structure régulière, Bébés chouettes et Un peu perdu fournissent à l’enfant la continuité rassurante mise à mal par la crainte de la séparation.

 Un peu perdu, Chris Haughton, Thierry Magnier, 9€

Bébés chouettes, Martin WaddellPatrick Benson, Kaléidoscope, 11, 20€

ClaireD

Du sable entre tes doigts

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Plus efficace qu’un cours sur la crise des subprimes, le court roman de Patrice Favaro met en scène Jordan, un garçon de 13 ans, qui en subit les conséquences.

À cause d’un crédit immobilier contracté auprès d’un agent qui a bien su s’y prendre, crédit qu’ils ne peuvent rembourser, les parents de Jordan doivent quitter leur maison. Qui dit maison dit toit, lit, douche, place, rangements, stabilité, etc., toutes choses essentielles que la voiture dans laquelle vivent désormais Jordan et sa mère – le père ayant fui – ne peut fournir.

En une centaine de pages, on partage les misères de Jordan, on comprend ses déceptions, on s’attache à ses espoirs. Haletant, jamais larmoyant, en plus d’être un roman à conseiller, Du sable entre tes doigts est un outil de compréhension du monde contemporain.

Du sable entre tes doigts, Patrice Favaro, Le Muscadier, collection Place du Marché, 7,90€

ClaireD

Mon voisin

Mon voisin est un modèle de livre-CD dans lequel le travail sonore complète l’écriture et l’illustration pour former une œuvre originale. Doucement excentrique, décalé, le livre-disque écrit et illustré par Marie Dorléans, raconté par Guillaume Gallienne (the Guillaume Gallienne), met en scène un personnage loufoque intrigué par les bruits de son nouveau voisin. Le narrateur à la première personne raconte comment, en entendant ces bruits, il s’est imaginé les choses les plus folles. Les illustrations, des rhodoïds posés sur le dessin au stylo noir très fin, complètent le texte en exprimant ce qu’imagine le héros et qui n’est que suggéré dans le texte.

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Dans l’image, la pliure du livre représente la cloison qui sépare le narrateur de son voisin. Les images occupent en effet toutes une double page, avec à gauche l’appartement du personnage-narrateur et à droite celui de son voisin. La couture du livre symbolise ainsi tout ce qui n’est pas vu mais entendu, comme on entend par le biais de l’enregistrement ce qui n’est pas vu mais imaginé. À la fin du livre-disque, l’élucidation du mystère fait suite à une sortie de cadre du personnage : on voit le personnage-narrateur sortir de chez lui et réapparaître sur la double-page suivante chez son voisin.

Dans Mon voisin, les dimensions texte/image/son se complètent, rendant visible l’invisible, audible l’inaudible, faisant de l’ouvrage un tableau animé.

Mon voisin, Marie Dorléans (textes et illustrations), raconté par Guillaume Gallienne de la Comédie-Française, Les Éditions des Braques, 2012, 18,30€.

ClaireD

Ole Könnecke

J’imagine Ole Könnecke comme un type sympa. Le genre de type qui porte bien la moustache, même s’il n’en porte pas. Ses livres ménagent des moments loufoques, jusqu’à la fin, toujours inattendue.

Les dessins comme les textes sont simples, efficaces, et malins. Dans les albums d’Ole Könnecke, il n’y a pas trace de discours. Il n’y a d’ailleurs pas trace de récit non plus. L’action se déroule au présent, sous les yeux du lecteur.

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C’est la situation, toujours drôle, originale et qui nous semble pourtant si familière tellement elle est intelligemment représentée, qui prime. Cette façon de dire, par le texte, par l’image, caractérise le style d’Ole Könnecke : simple, efficace, malin. Si j’osais, je parlerais d’un genre ici représenté : « le sketch en livre ».

Entre autres :

Anton et les filles, L’école des loisirs, 2005, 12,20€ /5,60€

Anton est magicien, L’école des loisirs, 2006, 12,20€ /5,60€

Anton et la feuille, L’école des loisirs, 2010, 12,20€ /5,60€

Il l’a fait !, L’école des loisirs, 2010, 7,10€

Le grand imagier des petits, L’école des loisirs, 2011, 12, 20€

Anton et les rabat-joie, L’école des loisirs, 2013, 12,20€ /5,60€

Anton et le cadeau de Noël, De La Martinière Jeunesse, 2013, 12, 50€

Bravo !, L’école des loisirs, 2014, 11,50

ClaireD

Le tout petit, Anne Letuffe

Ce très bel imagier-photo sans texte est une proposition de dialogue entre le corps et l’environnement. Une double-page contenant des éléments du paysage alterne avec une double-page mettant en scène des corps d’enfants. Ces corps dessinés au feutre noir s’insèrent – s’inscrivent – au moyen d’une découpe dans le paysage photographié.

Premier coup de baguette magique : immédiatement, les photographies convoquent une sensation corporelle : chaleur, bruit, frissons…

Deuxième coup de baguette magique : la découpe dans la photographie dévoile, sur la double-page suivante, une autre façon de percevoir le paysage, qui implique le corps.

On sent presque physiquement le regard de l’artiste planer sur l’album. Ce regard guide celui du lecteur et l’invite à poser à son tour un regard inédit et authentique sur son environnement.

Le tout petit, Anne Letuffe, L’atelier du poisson soluble,18€.

ClaireD

Mahboul le sage, Didier jeunesse

Trois contes marocains – La bonne purée, Moummou et l’ogresse, Mahboul le sage – inaugurent la collection de Didier jeunesse « Contes et voix du monde », qui alterne contes et comptines du monde. Ce premier numéro est une véritable réussite.

Les contes sont si bien choisis et si bien mis en mots que les enfants comme les adultes auront plaisir à écouter et réécouter. Halima Hamdane enchante par son timbre, son débit, son sens de la musicalité. Les mots semblent couler de source, en français comme en arabe, et la jubilation est atteinte quand on en arrive au point où la conteuse n’a même plus besoin de traduire en français. Vraiment, il faut vivre cette expérience en écoutant ce livre disque. Voyez plutôt : EXTRAITS

Mahboul le sage et autres contes marocains, écrit et raconté par Halima Hamdane, illustrations : Nathalie Novi, Éditions Didier Jeunesse, collection Contes et Voix du monde,
septembre 2013, 16 €.

ClaireD

Et si j’avais commencé par l’autre côté?

 2 romans en 1. Un côté pile, un côté face. On commence par le côté que l’on veut. C’est le principe de la collection Boomerang, dont un titre (La fille qui parle à la mer / Le garçon au chien parlant) a déjà été chroniqué dans ces pages.

Dans ce texte d’Alex Cousseau, un cheval est le trait d’union entre les protagonistes de chaque histoire. Le cheval, libre et sauvage, n’est pas ici animal domestique, il est ami d’un côté, frère de l’autre. Dans les deux cas, une véritable rencontre s’engage entre l’enfant et l’animal, et le cheval est finalement celui qui permet la rencontre entre les deux enfants. L’écriture, limpide, fait ressentir le souffle du vent, le galop du cheval, le froid du désert mongolien.

Le hasard a fait que j’ai commencé par Mon cheval s’appelle orage. Puis j’ai retourné le petit livre et lu Mon frère est un cheval. L’effet boomerang a bien eu lieu : la lecture du premier a bien éclairé la compréhension du deuxième.

Que se serait-il passé si j’avais commencé par l’autre côté ? L’expérience aurait-elle été différente ? La confrontation des deux textes oblige à refaire l’histoire avec des si, à repenser sa lecture après la lecture.

Alex Cousseau, Mon frère est un cheval / Mon cheval s’appelle orage, Rouergue, collection Boomerang, 6€.

ClaireD

De l’autorité des chiens

On (mais surtout lui) a pu voir dans ce petit livre une critique de l’autorité sous toutes ses formes. Le dangereux Tous à poil! tenterait, en jouant (puisqu’il s’agit bien d’un jeu) à déshabiller la maîtresse, le policier, le PDG, de mettre en cause leur autorité. Mais l’album déshabille aussi la boulangère, le bébé : si l’on pousse le raisonnement, le livre met donc aussi en cause l’autorité de la boulangère et du bébé. C’est grave! Et le chien, alors? Le chien aussi est déshabillé! C’est embêtant, pour l’autorité du chien.

Allons, allons.

Sur les commentaires de celui qui a initié la polémique au sujet de l’album Tous à poil!, beaucoup de choses, censées et argumentées, ont été dites et écrites par des personnes qui connaissent la littérature pour la jeunesse. Elles ont heureusement permis de remettre un peu les choses à leur place.

Et maintenant, je m’inquiète pour les hommes et les femmes politiques : la tendance aux raccourcis pourrait nuire à leur autorité.

ClaireD